L’administration exerce traditionnellement deux grandes missions : la gestion des services publics et l’exercice de la police administrative. Cette dernière vise à prévenir les atteintes à l’ordre public ou à protéger des intérêts définis par la loi. Parce qu’elles peuvent restreindre l’exercice des libertés, les décisions prises dans ce cadre sont strictement encadrées et susceptibles de recours.
La police administrative ne doit pas être confondue avec la police judiciaire. Tandis que la police judiciaire, placée sous l’autorité de l’autorité judiciaire, a pour mission de constater les infractions, rechercher les auteurs et rassembler les preuves, la police administrative poursuit une finalité préventive et relève des autorités administratives.
Il convient également de distinguer les mesures de police administrative des sanctions administratives. La police administrative n’a pas vocation à réprimer une faute, mais à prévenir un trouble à l’ordre public ou une atteinte à un intérêt protégé. Elle ne peut donc avoir de visée punitive.
Plusieurs grandes questions juridiques se posent en matière de police administrative, auxquelles les avocats en droit public sont régulièrement confrontés.
La police administrative générale a pour finalité de prévenir les troubles à l’ordre public ou d’en empêcher l’aggravation. Elle s’exerce sur l’ensemble d’un territoire (commune, département, État) et concerne l’ensemble des administrés. L’ordre public, dans son acception la plus large, comprend cinq composantes :
Elle vise la protection des personnes et des biens. Elle peut justifier, par exemple, des mesures destinées à prévenir les accidents, sécuriser des lieux publics ou interdire l’accès à des zones dangereuses.
Elle recouvre les questions d’hygiène, de santé publique, de gestion des déchets ou encore de lutte contre les épidémies.
Elle tend à limiter les nuisances sonores, les attroupements nocturnes, les comportements perturbateurs ou encore les troubles à la vie collective.
La police administrative peut être mise en œuvre pour protéger la moralité publique, entendue comme le respect d’un certain ordre moral collectif, en particulier dans un contexte local spécifique. Cette notion, bien que sujette à subjectivité, a été admise comme composante de l’ordre public, notamment lorsque les circonstances locales le justifient.
La dignité humaine peut, même en l’absence de circonstances locales particulières, justifier une mesure de police administrative.
Cette composante de l’ordre public a été consacrée par le Conseil d’État dans l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge du 27 octobre 1995. En l’espèce, le maire avait interdit l’organisation d’un spectacle de "lancer de nain" dans une discothèque, estimant qu’il portait atteinte à la dignité humaine, malgré le consentement de la personne concernée. Le Conseil d’État a validé l’arrêté municipal en affirmant que :
Le respect de la dignité de la personne humaine est une composante de l’ordre public ; il appartient à l’autorité investie du pouvoir de police municipale d’interdire une activité, même en l’absence de troubles matériels, dès lors qu’elle porte atteinte à cette exigence.
Les polices administratives spéciales trouvent leur fondement dans la loi. Elles visent des domaines ou activités spécifiques, s’appliquent à des lieux déterminés (aéroports, établissements recevant du public, etc.) ou concernent des catégories particulières d’administrés.
Elles sont exercées par des autorités désignées par les textes et s’accompagnent souvent de procédures spécifiques. On peut citer, à titre d’exemples :
la police de l’urbanisme,
la police des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE),
la police des étrangers,
la police sanitaire,
la police des communications électroniques, etc.
Le maire, à l’échelle communale ;
Le préfet, au niveau départemental (voire régional pour certaines compétences) ;
Le Premier ministre, à l’échelle nationale.
Le maire, dans certains domaines (urbanisme, immeubles menaçant ruine, funérailles…) ;
Le préfet, notamment pour les polices environnementales, sanitaires, ou agricoles ;
Les ministres, chacun dans leur domaine de compétence : le ministre de l’Intérieur pour la police des étrangers, le ministre de la Santé pour la police sanitaire, le ministre chargé des Transports pour la police aérienne, etc.
L’autorité investie d’un pouvoir de police ne peut rester passive face à un trouble à l’ordre public ou à une atteinte à un intérêt protégé. Elle est tenue de prendre les mesures nécessaires, sous peine d’engager la responsabilité de l’administration pour carence fautive.
Le pouvoir de police, de nature régalienne, ne peut être délégué ni exercé par voie contractuelle. Aucune convention ne peut encadrer, restreindre ou soumettre à autorisation l’exercice du pouvoir de police administrative.
Sauf disposition contraire, l’autorité de police administrative générale locale doit se conformer aux mesures prises par l’autorité exerçant le même pouvoir à un échelon territorial supérieur. Elle peut toutefois adopter des mesures plus rigoureuses si des circonstances locales particulières le justifient.
Lorsqu’une police administrative spéciale a été instituée, elle prévaut sur la police administrative générale pour la matière concernée. L’autorité de police générale ne peut intervenir que pour renforcer les mesures prises au titre de la police spéciale, à condition, là encore, que des circonstances locales particulières le justifient.
Lorsque plusieurs polices administratives spéciales poursuivent un objectif commun, leurs compétences sont, sauf disposition contraire, concurrentes. Il n’existe en principe ni hiérarchie entre les autorités compétentes ni obligation de coordination, sauf si la loi en dispose autrement. Il peut donc être difficile de contester une mesure prise par une autorité au titre d’une police spéciale en se fondant sur l’existence d’une autre police spéciale compétente.
Les mesures de police peuvent être réglementaires (arrêtés municipaux, préfectoraux…) ou individuelles (injonctions, interdictions, retraits de titres…). Elles doivent respecter les principes fondamentaux du droit administratif, notamment : le principe de légalité, le principe de nécessité (la mesure doit répondre à un risque réel), le principe de proportionnalité (la mesure ne doit pas excéder ce qui est strictement nécessaire).
Il est possible d’adresser un recours gracieux ou hiérarchique à l’autorité de police :
pour demander le retrait ou l’abrogation d’une mesure de police administrative illégale ou inadaptée,
ou pour contester une carence fautive, lorsque l’administration s’abstient d’agir alors qu’elle y est tenue.
En principe, le juge administratif est compétent pour connaître des litiges relatifs aux mesures de police administrative. Deux types d’actions sont envisageables :
un recours pour excès de pouvoir, visant à faire annuler une décision illégale ;
une action en responsabilité, tendant à faire condamner l’administration pour une faute ou une carence fautive.
Le juge peut être saisi aussi bien contre une décision explicite que contre un refus d’agir. Il contrôle alors :
les illégalités externes, telles que : l’incompétence de l’auteur de l’acte, les vices de forme, les vices de procédure ;
les illégalités internes, telles que : l’erreur de droit, l’erreur de fait (ou inexactitude matérielle), le détournement de pouvoir, l’erreur manifeste d’appréciation.
Lorsque la mesure contestée porte atteinte à une liberté fondamentale, le juge administratif exerce un contrôle de proportionnalité particulièrement rigoureux, pouvant conduire à l’annulation de la mesure ou à l’enjoindre de prendre une mesure nécessaire.
Voici quelques décisions récentes du juge administratif, appelé à se prononcer dans des affaires portant sur la contestation de mesures de police administrative.
Dans une affaire récente, l’administration avait invoqué le risque d’atteinte à la sécurité publique pour refuser à un détenu l’autorisation d’assister aux obsèques de son frère. Son avocat saisissait le juge des référés afin que son client soit autorisé à assister aux funérailles et à se recueillir sur la tombe de son frère dans le mois suivant celles-ci.
Le juge a rappelé :
Les autorisations de sortie accordées constituent des mesures exceptionnelles autorisant un détenu à quitter temporairement son lieu de détention, pour une cause et à des conditions déterminées par la juridiction compétente, sous réserve d’un encadrement par une escorte de police, de gendarmerie ou de personnels de l’administration pénitentiaire, dans des conditions de nature à assurer la sécurité des personnels chargés de l’escorte, du détenu, ainsi que la préservation de l’ordre public. Par suite, les nécessités de l’ordre public et les contraintes des services chargés de l’escorte peuvent légitimer un refus d’escorte pour la mise en œuvre d’une autorisation de sortie accordée à titre exceptionnel par le juge d’instruction sur le fondement des dispositions précitées.
Ainsi, sur la demande d’assister aux funérailles, le tribunal administratif a considéré que le risque d’atteinte à l’ordre public était fondé :
Il résulte de l’instruction que les services pénitentiaires disposent d’un service d’escorte souffrant d’un grave sous-effectif, qui, eu égard aux procès actuellement en cours et aux réquisitions d’extraction déjà présentées, ne leur permet pas d’organiser le déplacement sollicité par le requérant, dont l’escorte mobilise au moins trois agents et un gradé, pour assister aux obsèques de son frère dans des conditions de nature à assurer la sécurité des personnels, du détenu et du public. Dans ces conditions, l’administration pénitentiaire doit être regardée comme justifiant de circonstances particulières la mettant dans l’impossibilité matérielle de mettre en œuvre, dans des conditions de nature à assurer la préservation de l’ordre public et la sécurité publique, l’extraction de M. A afin d’assister aux obsèques de son frère ou de se rendre sur sa tombe dans les jours suivant celles-ci.
Cependant, sur la demande du détenu de se rendre sur la tombe de son frère dans le mois à venir, le juge a statué différemment et a donné raison au requérant :
En revanche, il résulte de l’instruction que les grands procès ainsi que les réquisitions d’extractions mobilisant l’ensemble de la ressource en escorte, mentionnés par le mémoire en défense, prennent fin, pour les derniers, le 4 juillet 2025. Par suite, la direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris, laquelle n’a pas produit en défense n’établit pas être dans l’impossibilité matérielle de mettre en œuvre, dans des conditions de nature à assurer la préservation de l’ordre public et la sécurité publique, l’extraction de M. A pour se rendre sur la tombe de son frère dans le mois à venir. Dès lors, en refusant d’escorter l’intéressé vers le cimetière Antoine Espiasse à Sarcelles, y compris à une date ultérieure au 17 juin 2025, la direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de M. A au respect de sa vie privée et familiale, et à son droit au recours, dont celui à la pleine exécution des décisions de justice, lesquelles constituent des libertés fondamentales.
Tribunal administratif de Paris, 18 juin 2025, n° 2516612
Récemment, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a donné raison à un maire ayant ordonné la fermeture d’une boulangerie pour non-respect des règles d’hygiène. Le juge a notamment relevé :
[La décision attaquée] vise les dispositions législatives et réglementaires au soutien de sa mesure, et mentionne de manière suffisamment circonstanciée les considérations de fait justifiant le prononcé de cette décision, dont le rapport d’inspection […] rédigé par la direction de la santé et de l’hygiène publique de la commune, ayant relevé un nombre conséquent de manquements à l’hygiène au titre de la réglementation portant sur la sécurité des établissements recevant du public et de règles relatives à l’hygiène des denrées alimentaires.
Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 8e chambre, 25 mars 2025, n° 2308410
Dans une affaire récente, un commerçant non sédentaire s’est vu retirer son autorisation d’occupation du domaine public après qu’un vol avec violence a été commis par son fils mineur. Le juge a annulé cette décision :
Il ressort des pièces du dossier que, pour prendre la décision attaquée portant retrait de l’autorisation d’occupation du domaine public [du commerçant], le maire […] s’est fondé sur le vol avec violence commis le 29 août 2022 par le fils mineur de [ce commerçant], expliquant que cette circonstance, en raison de la colère des habitants et des menaces pesant sur la famille […], était de nature à compromettre la tranquillité publique ainsi que, par voie de conséquence, la sécurité publique sur le marché. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier et notamment de la seule attestation d’un commerçant sur le marché […], datée du 9 mars 2023, soit six mois après les faits et produite par la commune en défense, mentionnant que "cette histoire a entraîné de nombreuses rumeurs et une tension palpable sur le marché […]" et que "nous pensons collectivement que les parents d’un enfant mineur sont responsables des agissements de ce dernier" que la présence [du commerçant] sur le marché aurait été de nature à constituer un trouble à l’ordre public et à la tranquillité publique. Par suite, et alors que l’intéressé a toujours déclaré condamner les actes de son enfant, qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il avait jusqu’alors manifesté un comportement de nature à créer de trouble à l’ordre public et qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que la commune n’aurait pas disposé des moyens nécessaires permettant [au commerçant] d’exercer son activité, une demi-journée par semaine, sur le marché de la Bocca, la mesure de retrait de l’autorisation d’occupation du domaine public prise à l’encontre [du commerçant] présente un caractère excessif par rapport aux fins recherchées en matière de tranquillité et d’ordre public.
Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 8ème Chambre, 25 mars 2025, 2308410
La police administrative peut intervenir pour protéger la moralité publique et, plus largement, pour prévenir les atteintes à un certain ordre moral collectif, notamment dans un contexte local particulier. Il s’agit d’une notion par nature subjective.
Plusieurs contentieux ont opposé des cirques à des maires ayant interdit leur installation, notamment en invoquant l’atteinte à la moralité publique. La cour administrative d’appel de Bordeaux, dans une décision de 2021, a annulé un arrêté d’interdiction :
la circonstance que le traitement des animaux sauvages dans les cirques aurait un caractère immoral ne peut fonder légalement, en l’absence de circonstances locales particulières, qui ne sont pas établies, une mesure de police.
Cour administrative d’appel de Bordeaux, 7e chambre, 20 mai 2021, n° 19BX04491
Certaines mesures de police administrative peuvent porter atteinte à vos droits, à vos activités ou à votre réputation. D’autres, pourtant nécessaires, ne sont parfois pas prises par l’autorité compétente, au mépris des obligations légales.
Notre cabinet vous accompagne pour :
contester une mesure de police (interdiction, injonction, fermeture, etc.),
obtenir qu’une mesure soit prise lorsque la situation l’exige,
saisir le juge administratif, y compris dans le cadre d’un référé d’urgence.