Contester une décision administrative implique d’en démontrer l’illégalité. À ce titre, les moyens invocables peuvent se regrouper en deux grandes catégories :
Les illégalités externes, qui tiennent à l’environnement de la décision : l’incompétence de l’auteur de l’acte, les vices de forme (absence de signature, mentions obligatoires manquantes…), les vices de procédure (absence de consultation d’une commission, méconnaissance du contradictoire…).
Les illégalités internes, qui concernent le contenu même de la décision : l’erreur de droit, l’erreur de fait (ou inexactitude matérielle), le détournement de pouvoir ou encore l’erreur manifeste d’appréciation,
L’erreur manifeste d’appréciation (EMA) constitue l’un des moyens les plus fréquemment invoqués pour faire annuler une décision lorsque l’administration a statué dans le cadre d’un pouvoir discrétionnaire.
Le juge administratif exerce un contrôle dont l’intensité dépend de la marge de manœuvre laissée à l’administration par le législateur :
Lorsque l’administration est en situation de compétence liée (c’est-à-dire qu’elle doit prendre une décision dès que certaines conditions sont réunies), le juge exerce un contrôle normal, voire entier. Il peut vérifier l’exactitude des faits, leur qualification juridique, et la légalité de la décision dans son ensemble.
À l’inverse, lorsque l’administration bénéficie d’un pouvoir discrétionnaire, le juge ne substitue pas son appréciation à celle de l’administration. Il se limite alors à contrôler que cette appréciation n’est pas manifestement erronée : c’est le contrôle restreint, réduit à l’erreur manifeste d’appréciation.
Ce contrôle réduit permet au juge de censurer les décisions manifestement excessives ou incohérentes, sans remettre en cause la liberté d’appréciation que la loi reconnaît à l’administration.
L’erreur manifeste d’appréciation est une erreur grossière, évidente, dans l’analyse de la situation par l’administration.
Concrètement, il ne suffit pas qu’un requérant estime que la décision est sévère ou discutable. Il doit démontrer que, compte tenu des circonstances de l’affaire, la décision est manifestement disproportionnée, incohérente ou inadaptée.
Ce moyen est fréquemment invoqué, par exemple :
dans les décisions de retrait ou de refus de titre de séjour ;
dans les sanctions administratives ou disciplinaires ;
dans les refus d’autorisation administrative (urbanisme, police administrative, etc.).
La difficulté réside dans le mot "manifeste". Il faut montrer que la décision ne tient pas compte d’éléments déterminants ou repose sur une évaluation manifestement déconnectée des faits.
Il convient donc de produire un dossier très étayé, reposant sur :
des pièces factuelles solides (preuves, certificats, témoignages) ;
une analyse argumentée des circonstances ;
un exposé clair du caractère disproportionné ou injustifié de la mesure.
À défaut, le juge rejette ce moyen par des formules classiques comme :
"Les seuls éléments dont fait état le requérant […] ne suffisent pas à établir que le préfet aurait commis une erreur manifeste d’appréciation." (TA Strasbourg, 15 mai 2025, n° 2503372)
"Le requérant ne verse pas suffisamment d’éléments relatifs à sa situation […]. Par suite, le préfet n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation." (TA Guadeloupe, 15 mai 2025, n° 2400169)
Le cabinet a été amené à plusieurs reprises à invoquer l’erreur manifeste d’appréciation :
Contre une sanction prononcée à l’encontre d’un pilote d’avion par la DSAC : la mesure disciplinaire retenue paraissait manifestement disproportionnée au regard des faits reprochés.
Contre un refus de délivrance de carte professionnelle par le CNAPS : l’administration se fondait sur une mention au fichier “Traitement des antécédents judiciaires” (TAJ), alors que cette mention ne présentait aucun caractère suffisamment probant pour justifier légalement un tel refus.
Contre une sanction prononcée par un institut de formation en soins infirmiers (IFSI) : une de nos clientes se voyait reprocher des absences à certains cours. Il est apparu que la sanction infligée était manifestement disproportionnée au regard de sa situation réelle.
TA Melun, 15 mai 2025 – Femme victime de violences conjugales
Une ressortissante algérienne, mariée à un Français, demande le renouvellement de son certificat de résidence. Le préfet le lui refuse et l’oblige à quitter le territoire. Pourtant, des éléments versés au dossier démontrent qu’elle subissait de graves violences conjugales. Le tribunal relève :
"Compte tenu des circonstances de l’espèce et de l’existence de violences conjugales […] le préfet a commis une erreur manifeste d’appréciation en l’obligeant à quitter le territoire français." (TA Melun, 8e ch., 15 mai 2025, n° 2300323)
TA Rennes, 7 mai 2025 – Gendarme sanctionné à tort
Un commandant d’unité avait été sanctionné pour une prétendue mauvaise gestion d’un adjoint problématique. Il a pu prouver qu’il avait :
organisé une réunion sur les tensions internes,
transmis l’information à sa hiérarchie,
reçu la gendarme victime,
proposé la mutation de l’adjoint concerné.
Le juge annule la sanction :
"Dans ce contexte […] M. C est fondé à soutenir que le commandant de groupement a commis une erreur manifeste d’appréciation." (TA Rennes, 2e ch., 7 mai 2025, n° 2300011)
Lorsqu’une décision administrative vous semble entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, deux types de recours sont envisageables : le recours administratif (gracieux ou hiérarchique) et le recours juridictionnel devant le juge administratif.
Le recours administratif est une démarche amiable qui peut précéder (et parfois éviter) une procédure contentieuse. Il peut prendre deux formes :
Le recours gracieux, adressé à l’auteur même de la décision contestée ;
Le recours hiérarchique, adressé à son supérieur hiérarchique.
Dans les deux cas, il convient d’exposer, avec rigueur et clarté, les raisons pour lesquelles la décision prise repose sur une appréciation manifestement erronée de la situation. Cela suppose de démontrer que l’administration a porté une appréciation excessive, incohérente ou disproportionnée par rapport aux faits établis. Il est fortement conseillé de faire appel à un avocat afin de structurer l’argumentation, joindre les pièces nécessaires, et augmenter les chances de succès de la démarche.
Ce type de recours interrompt en principe le délai contentieux, ce qui permet de préserver vos droits tout en tentant de résoudre le litige sans passer par le juge.
Si le recours administratif est rejeté ou si vous souhaitez saisir directement le juge administratif, vous pouvez former un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif compétent, dans un délai de deux mois suivant la notification de la décision contestée.
Dans ce cadre, l’erreur manifeste d’appréciation constitue un moyen d’illégalité interne que le juge est habilité à examiner. Il appartient au requérant d’apporter des éléments convaincants permettant d’établir le caractère manifestement erroné de l’évaluation portée par l’administration. Il peut s’agir, par exemple, d’attestations, d’avis médicaux, de documents de situation familiale ou professionnelle, ou de tout autre élément de preuve.
L’intervention d’un avocat est particulièrement précieuse pour sélectionner les arguments pertinents, analyser la marge d’appréciation de l’administration dans votre situation, et construire un recours juridiquement fondé et convaincant.
Le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation exige un travail de démonstration précis, rigoureux et méthodique. L’avocat en droit public vous aide à :
Identifier si l’administration disposait d’un pouvoir discrétionnaire ou lié ;
Sélectionner les moyens les plus pertinents ;
Présenter les faits et les preuves de manière convaincante ;
Rédiger un mémoire conforme aux exigences du contentieux administratif.
Le cabinet Sine Cera avocat est régulièrement saisi pour contester des décisions administratives sur le fondement d’une erreur manifeste d’appréciation, dans des domaines variés : droit des étrangers, sanctions disciplinaires, urbanisme, titres de perception, etc.